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ELLE A LES YEUX EN FORME D'AMANDES

lu par MARIE LUSSIGNOL :









Elle a les yeux en forme d’amandes qui, dès qu’ils s’ouvrent, s’agrandissent et s’étirent dans un mouvement charmant et troublant à la fois. Elle est si belle avec ses lèvres tendres et roses, qui fendent la pâleur de ses joues dès qu’une pensée heureuse illumine sa beauté, dans l’éclat d’un sourire lumineux et silencieux à la fois.

Ses longs cheveux noirs tombent en cascades sur ses épaules et jusqu’en bas de son dos, tandis que sa fine silhouette dégage une élégance et une grâce aussi rayonnantes que mystérieuses. Je ne l’ai pourtant jamais vue.


Et si je sais déjà sa beauté, ce n’est pas grâce à ceux qui disent l’avoir déjà aperçue. Je ne les crois pas beaucoup, parce que je pense que nul ne peut la voir de ses yeux tant qu’il ne l’a pas réellement rencontrée. Et celui qui a eu ce rare bonheur, il garde alors toute la merveille de cette relation mystérieuse dans son cœur, il n’a plus besoin d’aller parler aux hommes et de se vanter. Il préfère vivre pleinement cette rencontre et la chérir en lui-même.

Tout ce que je te dis d’elle vient seulement de mes rêves. Elle revient les visiter toutes les nuits. Elle les transforme alors en feux d’artifice et en joies. Avec elle, je vole dans les ciels, je plonge dans les mers, je parcoure des plages immenses dont le sable chaud caresse délicieusement la plante de nos pieds. Avant de me réveiller dans la fraîcheur de chaque matin, seul et sans elle auprès de moi.

Je te l’ai dit, il y a un mystère autour d’elle.


Depuis la nuit des temps, les hommes parlent d’elle, ils évoquent sa beauté, sa bonté et sa tendresse. Ils sont tous comme moi qui te raconte cette histoire. Autant que moi, ils ont besoin de rencontrer une femme qui donnent un sens à leur vie, un lieu pour leur amour. Ils savent tous comme moi qu’il y en a une quelque part qui les attend, prête à donner son cœur et vivre l’aventure de la vie. Mais ils ne savent pas comment faire pour la rencontrer.

Je vis sur une autre planète que la tienne : le monde dans lequel je suis ressemble beaucoup au tien, sauf qu’ici, les hommes naissent seuls. Ici, Dieu n’a pas créé la femme après avoir conçu le premier homme. Il n’a pas voulu recommencer la même chose. Il a attendu une journée de plus. S’il a tout de suite compris, dans ce monde là aussi, qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul, il s’est souvenu que son coeur n’est pas toujours le meilleur.


Bien-sûr, dans sa grande sagesse et son grand amour pour toutes ses créatures, Dieu voulait que l’homme soit heureux et qu’il puisse vivre dans le même amour que lui, en lui offrant la plus formidable et la plus belle des créatures : la femme. Mais il fallait en même temps qu’elle ne soit pas trop proche de lui, pas trop vite, parce qu’il était préférable d’attendre que les hommes purifient d’abord leur coeur pour avoir le droit de rencontrer les femmes C’est pourquoi Dieu décida, après une longue journée de réflexion, que la femme ne vivrait pas sur la terre, mais dans la mer.

Dieu créa la sirène. Une femme, et en même temps une créature toute semblable à Lui, où la beauté et l’amour ne font qu’un. Et pour la protéger des imperfections de l’homme, Dieu trouva que vraiment, l’idée qu’elle naisse dans l’océan était excellente. Au premier homme de cet autre monde, il expliqua alors ce qu’il devrait faire pour gagner l’amour de la femme. Il lui dit :


– pour purifier ton cœur, cette terre que je te confie, tu devras la transformer pour qu’elle devienne un jardin merveilleux. Cela ne sera pas difficile, ajouta Dieu : je te donne tout ce qu’il faut pour te servir. Le sol sera généreusement rempli de toutes les plus belles graines de fleurs et de fruits. Mon soleil brillera pour les faire éclore, tandis que mes pluies les irrigueront de leurs eaux précieuses. Avec tous ses fruits, ce jardin te nourrira. Avec toutes ses fleurs, il embaumera toute la terre. Quand ton jardin sera devenu un petit paradis, les oiseaux viendront le célébrer de leur vol et de leurs cris joyeux, qui parviendront jusqu’au cœur d’une femme. C’est alors qu’elle surgira du fond de l’océan, et qu’elle t’appellera de son chant. Tu ne pourras pas y résister. Tu sauras que c’est toi qui est appelé par cette créature merveilleuse qui vit dans la mer. Alors, tu viendras près du grand océan où vivent toutes les femmes, et tu n’auras qu’à étendre tes bras pour embrasser celle qui, venue au bord du rivage, sera venue t’y attendre.

Les hommes qui ne croient pas la parole de Dieu racontent les histoires les plus folles au sujet de cette femme. Il y a des légendes qui disent qu’elle est une déesse, la fille unique de Poseidon, une vieille divinité de la mer qu’ont inventé nos ancêtres. D’autres croient qu’elle est la fille d’un grand roi d’Égypte, le pharaon qui avait construit la plus grande et la plus belle des pyramides, un château de pierres et de sable qui montait jusqu’au ciel et qui était baigné par les eaux du Nil, là où, un jour, elle alla se baigner pour ne plus jamais réapparaître.


D’autres encore qu’elle est une pauvre jeune fille abandonnée par ses parents, qui courait les campagnes et mendiait le pain à tous les paysans. Sa beauté était telle que pour se protéger des hommes qui sont toujours attirés par la beauté mais qui ont parfois le cœur mauvais, elle avait fini par aller plonger dans une rivière pour y attendre le jour où Dieu lui donnerait un prince charmant.


Cela fait tellement longtemps que les hommes parlent des femmes sans les connaître qu’il y a beaucoup plus de légendes sur elles qu’il n’y a de sirènes, il y en a presque autant que les gouttes d’eau de tout l’océan.

Des gouttes d’eau, elles sont aussi des milliers qui perlent sur sa robe, qui couvrent son corps comme les plus beaux diamants. Chaque nuit, je retrouve donc ma sirène pour vivre avec elle des aventures merveilleuses. Ensemble, nous nous déplaçons avec une vitesse prodigieuse, nous volons dans les airs et plongeons dans les mers profondes.


Je deviens oiseau quand elle surgit hors de l’eau, quand elle s’envole alors dans le ciel, ses bras déployés se transforment en ailes aussi grandes que celles d’un archange. Je deviens poisson quand elle plonge vers les profondeurs, et que ses jambes s’enlacent pour former une longue queue dont les mouvements rapides transpercent les flots. Elle nage aussi vite qu’un dauphin, puisqu’elle est une sirène.

Tu as oublié qui sont les sirènes ? Elles sont les plus extraordinaires des fées, les plus belles, les plus mystérieuses et les plus bonnes aussi, parce qu’elles sont promises à l’amour. Au lieu de vivre dans les forêts, elles habitent donc dans la mer. Elles connaissent tous les enchantements, elles ont tous les pouvoirs qui permettent de changer nos rêves en réalité. Elles n’ont pas besoin de baguettes magiques, c’est leur chant qui fascine et qui transforme les hommes.

Parce que je crois la parole de Dieu, je travaille à mon jardin tous les jours. Je donne toutes mes forces pour qu’il embellisse, pour que les massifs de fleurs explosent de toutes les

couleurs et de tous les parfums, pour que les arbres fruitiers croissent en abondance en produisant des fruits sucrés et juteux.


Chaque soir, je contemple l’œuvre de ma journée, je remercie Dieu pour tous ses bienfaits et tous ses dons que j’ai la joie de fructifier. Le corps fatigué, mais le cœur satisfait d’avoir bien travaillé, je vais me reposer au pied du plus grand de mes chênes, celui qui me sert de refuge pour mes nuits.


Là, bien installé, au creux de mon lit de mousse et des douces feuilles de l’arbre, je m’endors en regardant les étoiles qui scintillent au ciel, et en écoutant au loin les mouvements de la mer. Dès que la lune apparaît, elle se retire jusqu’au cœur de l’océan, pour revenir à l’aurore toujours plus pleine et généreuse. En m’endormant, je prie mon Seigneur pour qu’au petit matin, les oiseaux, les parfums de la terre et la marée de la mer auront enfin rapporté ma sirène, et que son chant me réveillera.

Ce jour viendra. J’irai la chercher, je la prendrai par la taille pour la porter jusque dans mon jardin où nous nous aimerons pour toujours.



Et voilà, l’histoire est finie. Il est temps maintenant d’appeler tous les anges et les bonnes fées pour t’envoyer la poudre d’or, celle qui endort les petits, et les grands !


À bientôt !




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